C’est l’après-midi, il fait chaud, très chaud. Il est préférable de rester à l’ombre. Une invitation à boire le café, ça m’arrange, il faut tuer le temps. Quelques braises suffiront comme foyer. Les grains de café sont déposés dans la poêle. Ils grillent jusqu’à devenir noirs et sont ensuite pilés. La poudre grossière est versée avec de l’eau dans la cafetière traditionnelle ressemblant à une mini amphore qui est placée sur le foyer. Le mélange déborde, le rituel peut commencer. un café. On remet de l’eau dans la cafetière. Deuxième café. A nouveau de l’eau. Troisième café. Le soleil décline, j’ai les nerfs, il faut que je sorte, vite.

Fidèle à mes habitudes, je marche sac en bandoulière sur le goudron de Djibouti-ville. Une voiture me bloque le passage. La vitre se baisse, on me montre une carte: police. Je suis invité à m’installer sur le siège avant, direction le service des renseignements généraux.

-Passeport s’il vous plait.

-Je ne l’ai pas, il est à l’ambassade d’Erythrée. J’attends un visa.

Je subis un interrogatoire en règle. Ils me suivent depuis la limite de Djibouti-ville. Ils veulent savoir pourquoi je prends des photos. C’est louche. Le plus naïvement possible: « je suis touriste, je prends des photos souvenir, la plage, les pigeons et la mer, monsieur le policier ». Finalement, après avoir tout inscrit noir sur blanc, on me souhaite un agréable séjour, mais vaut mieux garder l’appareil dans le sac. Je m’en fous, Djibouti, c’est pourri.

Comme décor des dunes  pour le coucher de soleil. On creuse un trou dans le sable, on y met des copeaux de bois qui serviront à faire bouillir la marmite de soupe. Allongé sur le sable pas encore froid, les yeux vers les étoiles, la bouteille de Schnaps tourne en silence. La vie est simple dans le désert et on est peinard.

Devant les écoles, les enfants analphabètes vendent, sur des petites tables en bois peu solides, à manger et des boissons aux enfants qui accèdent au savoir. Très tôt, l’inégalité sociale entre dans les esprits de ces enfants. Il n’y a pas la chance pour tout le monde.

Ce soir, le bus n’est pas venu. Mince alors! J’attendais depuis midi son arrivée. Tant pis, comme une quarantaine d’autres personnes, j’ai pris place dans un camion de marchandises. Une fois assis sur un sac en toile de jute, on ne bouge plus et il n’y a pas le choix. La nuit promet d’être longue et sans sommeil. Le camion brinquebale, c’est une piste qui mène au nord du pays en longeant la Somalie, une zone désertique. Secoué dans tous les sens, on avale une fine poussière rouge qui marque le visage et les vêtements. Mon dos me fait souffrir, mes pieds coincés sous des bagages me font mal. Ce n’est pas grave. A mes côtés, une femme donne le sein à son bébé. C’est le matin, les visages apparaissent cerné mais souriant. On est sans doute proche de la destination et puis c’est une nouvelle journée qui commence.

Dans le désert, à la frontière entre Djibouti et l’Erythrée, j’ai posé mon sac sous l’avancée d’une des cinq maisons de cette petite communauté. C’est ici que le chef du village m’a autorisé à dormir. Chaque jour, il vient me nourrir alors que j’attends désespérément le passage d’une voiture. Ici, rien à acheter, rien à vendre. Au menu: le matin fayots, le midi fayots et le soir fayots. Et ce régime pendant trois jours. Ce qui m’inquiètais, ce n’était pas l’état de mon ventre mais la baisse rapide de mon stock de kleenex. Je ne suis pas encore fait pour la technique d’hygiène musulmane. Heureusement que je n’étais pas enrhumé.

Il est équipé le type, normal, c’est un professionnel. Soigneusement, il dispose une plaquette en bois par terre pour reposer le pied du client. Assis sur sa caisse à outils, une chaussure en main, de l’autre un chiffon, il fouette le cuir pour enlever la poussière. Après c’est un classique de technique sans geste superflu. Etalage du cirage noir ou marron puis le brossage. Enfin il y a la touche finale, doucement, il lustre avec un morceau de mousse: la chaussure brille. C’est cool, j’ai les pompes propres au moins pour 500 mètres.

A même le trottoir, une table et deux bancs sont hâtivement installés. La cuisinière dépose sur le sol les gamelles de nourriture préparées l’après-midi. Je suis assis sur un bout de banc adossé contre le mur d’une boutique. L’assiette est déposée sur la toile cirée. Du riz, des haricots, des épinards et un morceau de poisson accompagné de manioc, il fait nuit, j’ai faim, je mange. Et c’est bon.

Ici la nuit , il y a une ambiance de tripot dans les bars. Les lascars du coin fréquentent les blancs qui arrivent d’Europe en voiture pour les vendre. A coup de bière et de whisky, tout le monde flambe. Quant aux filles, elles travaillent, remuant leurs fesses et excitant les billets de banque des toubabs qui se laissent piéger. Vers 6 heures du matin, quand tout le monde est bourré, le mélange est détonnant. Dehors, les taxis attendent les couples pour un dernier câlin avant de s’endormir ivre de fatigue.

Au programme ce matin, je prends un train de marchandises à Dire Dawa en Ethiopie, direction la frontière de la République de Djibouti. Sur le quai, il y a des touristes français, habillés avec des vêtements griffés couleur sable, genre baroudeur. Ils sont beaux comme dans un film du temps des colonies avec leur foulard noué autour du cou, bien peignés, parfumés et pas un grain de poussière pour ternir le tableau. Quelle classe! Ils viennent prendre avec condescendance des photos souvenirs des autochtones voyageant sur le plateau wagon d’un train de marchandises.