C’est la fin du mois de décembre, une époque de l’année où les nuits sont glaciales. Il est 1h00 du matin, je traîne, seul, dans les rues sablonneuses et sans éclairage de la dernière commune algérienne avant la frontière avec le Niger.

Retour en arrière. Tamanrasset, 25 décembre, je prends place dans une voiture de voyageurs. Direction la frontière. La nuit tombe. On roule dans un désert de cailloux. Les phares de la voiture n’éclairent qu’à 5 mètres. Le chauffeur passe son temps à zigzaguer entre les rochers. Je ne sais pas comment il fait pour se repérer, mais on avance. Dernier village, c’est le terminus. Le conducteur me demande de descendre. Je sors et ferme la porte. La voiture s’en va. Voilà, maintenant je fais quoi ce bled au fin fond de l’Algérie en pleine nuit.

Il y a une gendarmerie, c’est ma chance. Je tape fort contre le portail métallique. Le sous-officier de garde l’entrouvre, il semble stupéfait.

– Bonsoir, est ce possible de dormir ici, s’il vous plaît?

– Je suis désolé mais c’est impossible.

Il m’éconduit poliment. Mais il prend soin de réveiller un collègue qui part aussitôt prévenir le commandant du secteur. L’officier ensommeillé et rapatrié au poste m’accorde l’hospitalité avec un large sourire. Il me tend des couvertures pliées bien épaisses et me désigne un local libre où est installé un lit en fer.

Au petit matin, deux gendarmes m’accompagnent en 4X4 jusqu’au poste de douane. Un grand merci à ces messieurs de la gendarmerie algérienne.

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Je ne sais pas si c’est à cause du massage d’hier soir mais je me suis réveillé à 3 heures de l’après-midi. Etonnant. Peut être que ma montre est arrêtée, même pas. Dehors, les gens carburent déjà à la bière.

-« Good afternoon » me dit la propriétaire de la guest house quand j’arrive à la réception.

C’est donc bien vrai, il me reste plus que 2 heures avant le coucher du soleil.

La chemise bleue ciel et froissée, à manches courtes est sortie. Ce soir, j’emballe. Choix du bar, un endroit à la mode avec de la musique américaine. Jennifer Lopez se déhanche sur l’écran géant. Au coin du bar, une fille seule,  elle est splendide. J’ose.

– Je peux t’offrir une limonade.

Elle préfère une bière.

– D’accord. On part s’installer dans le fond, il y a une table, tranquille. La discussion, des banalités. Et puis on est pas là pour ça. On boit des bières. Pendant les silences, on regarde Jennifer Lopez.

Il se fait tard, place aux choses sérieuses. Je demande l’addition. Elle sort son porte-monnaie. Du bout des doigts, je stoppe son initiative. Elle semble étonnée, elle s’y attendait si peu.

– Non, laisse c’est moi qui offre. Je dégage de la poche du pantalon une liasse de billets avec un pourboire avantageux. Elle est conquise. Bonne nuit.

Les amoureux semblent se donner rendez-vous le dimanche après-midi. Assis sur le sable blanc, ils regardent les enfants qui s’amusent dans les eaux chaudes de l’Océan indien. Certains s’étreignent, d’autres d’un geste discret marquent leur affection. Parfois, seul, le marchand de glaces trouble cette douce harmonie. Le soleil perd de son intensité. On se lève, une main délicate dépoussière le pantalon de l’autre. Un dernier baiser sur la joue, ils s’en retournent. C’est dimanche soir.

Le passeport tamponné et la barrière de la douane franchie, il faut changer son argent. Il n’y a pas d’alternative. La solution est le marché noir. Tu choisis un type au bord du goudron, il propose son tarif. Evidemment, tu ne connais pas le taux de change, alors tu fais le mec blasé, celui à qui on ne la fait pas. Tu le forces à diminuer sa marge. Il accepte. Tu es content, tu as l’impression d’avoir fait une bonne affaire. Mais tu t’e fait avoir , une fois de plus.

Dans le port de Bangui, un douanier demande mon passeport. Il le regarde minutieusement, lisant chaque page, guettant la moindre faute. Soudain ses yeux s’allument:

– Mais Monsieur, vous n’avez pas le PK12.

Une moue dubitative lui fait face.

– C’est quoi le PK12? d’un ton sec.

– Il faut le tampon PK12 signifiant votre arrivée dans la ville.

– Ah bon, personne ne m’a arrêté, je suis rentré comme ça.

– Vous n’êtes pas en règle sans le tampon PK12, monsieur.

Excédé.

– Si je suis en règle, j’ai un visa valable un mois et un tampon d’entrée dans le pays.

Après le passage dans le bureau de différents services, je ressors sans le tampon PK12 et libre. Et le fond de ma pensée: »Tu peux te le mettre dans le cul ton PK12, connard. »

« Faisons l’amour avant de nous dire adieu.

Faisons l’amour avant de nous dire adieu.

Faisons l’amour puisque c’est fini nous deux.

Faisons l’amour comme si c’était la première fois.

Encore une fois, toi et moi puisque l’amour s’en va. »

Un vieux transistor bricolé et scotché crache avec douceur un standard de Jeanne Manson. C’est le milieu de l’après-midi, le soleil tape un maximun. En clair, il n’y a personne dans les rues de ce quartier populaire. Aucun mouvement, tout le monde est alangui contre un mur, cherchant l’ombre ou fait la sieste sur une natte posée sur le ciment frais des boutiques. Impossible de se traîner dans cette moiteur. Seule la voix de Jeanne Manson trouble ce silence et berce ce moment de torpeur.

Enfin, le soleil entame son lent déclin. La rue, abandonnée quelques heures, reprend progressivement son activité. Bizarrement en cette fin d’après-midi, les habitués du faubourg chantonnent, en marchant, le même refrain.

« Faisons l’amour avant de nous dire adieu.

Faisons l’amour avant de nous dire adieu.

Faisons l’amour puisque c’est fini nous deux.

Faisons l’amour comme si c’était la première fois.

Encore une fois, toi et moi, puisque l’amour s’en va. »

Une fois de plus, il faut descendre de la voiture et sortir les planches en bois. A genoux et courbé, on dégage le sable autour des roues avec les mains. Il reste plus qu’à glisser les plaques sous les pneus. Le chauffeur s’installe, à trois ou quatre derrière: on pousse. J’ai faim, j’ai soif, je n’ai plus de force. La voiture avance péniblement puis accélère. Vingt mètres plus loin, elle est encore ensablée. Recommencer, jusqu’à trouver une zone plus stable. Il est 10h du matin, le soleil chauffe durement dans le Sahara. Vivement le goudron!

Il est 5h du matin. Il faut se lever. Le thermomètre indique 25°C. Vite fait, le pantalon est enroulé, tassé près de la trousse de toilette, le sac en plastique rempli de linge sale est coincé entre les chemises froissées et la paire de tongs. Le sac de voyage ferme juste. Le taxi attend devant l’hôtel, le prix de la course a été négocié la veille. Direction la gare routière où un incompréhensible brouhaha se joue chaque jour. Le choix se porte sur un bus d’apparence neuf avec un prix convenable. L’affaire est conclue, c’est parti pour une journée sur la route.

Une averse. Le bitume est tellement brûlant que la pluie s’évapore au contact du sol. La pluie est si chaude qu’elle ne rafraîchit même pas. Tout le charme des tropiques.